Rares sont les modèles de platines vinyles ayant traversé les générations sans changer de conception interne et de design. Référence ultime pour les audiophiles et les DJ’s, la Technics SL-1200 est toujours aussi pertinente depuis sa commercialisation au début des années 70. Au-delà de ses performances sonores, elle est effectivement reconnue pour sa robustesse et sa durée de vie proche de l’infini. D'ailleurs, certains modèles datant de cette époque sont en parfait état de marche et circulent toujours sur le marché d’occasion. Depuis toujours, les platines Technics sont en effet fabriquées à la main au Japon avec une précision chirurgicale !
Malgré un bref arrêt de production de 2010 à 2016, Technics connait aujourd’hui un nouveau souffle avec des électroniques toujours aussi sophistiqués. C'est une bonne occasion pour revenir sur l’histoire de cette platine légendaire et de son influence sur la musique électronique. Ayant contribué à la naissance du Hip Hop, la platine Technics est à jamais indissociable de ce mouvement culturel. Difficile à concurrencer, toujours en production et plus que jamais présente sur le marché d’occasion, la SL-1200 a encore de beaux jours devant elle. Avec plus de 3,5 millions de pièces vendues, elle reste la platine de référence pour de nombreux amateurs de disques vinyles !
L'émergence des platines à entrainement direct
Les origines de la marque Technics remontent à 1965, lorsque le constructeur d’enceintes haut de gamme Matsushita (aujourd’hui Panasonic) décide de se lancer dans la production de platines vinyles à entrainement direct. Permettant au plateau de tourner à 33T/minute de façon quasi instantanée grâce un système d’aimant électromagnétique, le moteur à entrainement direct avait été pensé pour les professionnels. Les nouveaux styles de musique nécessitaient en effet un matériel fiable et fonctionnel pour être joués efficacement en discothèque, à la radio, etc. Le marché était pourtant largement dominé par les platines à courroie, que l’on retrouvait sur scène et principalement dans les salons. Si le principal atout de ces dernières est d’offrir une reproduction sonore fidèle, Technics réalise un véritable tour de force en proposant des platines adaptées aux audiophiles et aux DJ’s.
Spécialement conçue pour les professionnels, la platine SP-10 est la première platine à entrainement direct à voir le jour, en 1969. Dotée d’un servo-moteur dédié aux applications studio, elle restera pendant plusieurs années une platine de référence pour les studios d’enregistrement et stations de radio. L’histoire commence à s’écrire réellement deux ans après, en 1971, lorsque Technics lance la SL-1100 sur le marché grand public. C’est à cette époque que la marque japonaise entre dans la légende de la musique afro-américaine grâce à DJ Kool Herc, le père fondateur du Hip Hop.
Technics participe à la naissance de la culture Hip Hop
Clive Campbell, de son vrai nom, a grandi en Jamaïque au rythme des sound systems de Dancehall. Avant même que ce phénomène ne s’exporte réellement aux États-Unis, il était un habitué des scènes en plein air où DJ’s et paroliers se complétaient. En 1967, Kool Herc déménage dans le Bronx, à New York, avec sa famille. Les affrontements entre gangs de rue étaient particulièrement violents et l’art était l’un des seuls moyens de s'en éloigner. En parallèle de ses études et de son activité de graffiteur, Kool Herc achète son premier système audio. Ce dernier était composé de deux platines SL-1100 connectées à deux amplificateurs, d’une console Shure « Vocal Master » et de deux enceintes colonne. Largement inspiré par les sound systems jamaïcains, le jeune DJ prend l’initiative d’organiser les premières block parties dans les parcs et terrains de basketball de son quartier du Bronx.
Seulement deux ans après leur date de sortie, les platines vinyles à entrainement direct Technics participeront à un événement majeur ayant eu lieu le 11 aout 1973 : l’invention du break mix par DJ Kool Herc. Le principe était de jouer uniquement la partie rythmique de deux disques vinyles identiques, puis de les passer en boucle afin d’obtenir une batterie infinie. Cette technique a permis aux premiers rappeurs (à l’époque appelés « maîtres de cérémonie ») d’animer les block parties en posant leurs textes sur des rythmiques inédites. Les breaks isolés par DJ Kool Herc étaient à la base issus de deux morceaux : Apache de Incredible Bongo Band et Give It Up Or Turnit A Loose de James Brown. Le jour de l’invention du break mix est d’ailleurs reconnu comme la date de naissance du mouvement Hip Hop.
Le DJ n’était plus celui qui passait les morceaux, mais celui qui les composait. Il est important de comprendre que le Rap est un moyen d’expression créé avec les moyens du bord dans les quartiers défavorisés de New York. Les boites à rythmes, les samplers, et autres instruments de musique électronique de ce type n'existaient pas encore. Grâce aux platines Technics, idéales pour mixer bien qu'elles n’étaient pas conçues à cet effet, les DJ’s ont trouvé un moyen de créer de la musique sans être musicien. De ce fait, on peut affirmer que les platines ont ouvert la voie au sampling, moyen incontournable de composer des instrumentaux Hip Hop quelques années plus tard, dans les 80's.
SL-1200 : une platine hi-fi adoptée par les DJ's de New York
La Technics SL-1200 voit le jour très rapidement après la SP-1100. Commercialisée en 1972, cette platine était avant tout conçue pour une utilisation hi-fi. Malgré un manque de communication évident au moment de sa sortie, c’est un succès immédiat chez les DJ’s new yorkais. Son moteur amélioré permet au plateau de démarrer encore plus rapidement et son châssis de 12,5 kg élimine considérablement les résonnances. DJ Kool Herc ne tarde pas à commencer à utiliser la SL-1200, tandis que ses confrères Afrika Bambaataa et Grandmaster Flash continuent à mixer sur platines à courroie par habitude. Solides, antivibrations et assurant un suivi du sillon optimal grâce à l’utilisation d’un bras en S, ces platines permettent un retour à la vitesse de lecture extrêmement rapide sans que la rotation soit perturbée. Peu à peu, la platine vinyle commence à devenir un instrument de musique à part entière.
C’est d’ailleurs sur ce modèle que Grand Wizard Theodore réalise le premier scratch de l’histoire. Il n’a que 12 ans lorsqu’il s’entraine à mixer sur deux platines SL-1200 dans sa chambre à volume très élevé. Surpris lorsque sa mère entre pour lui demander de baisser le son, le jeune DJ arrête la lecture du vinyle à la main d’un coup sec. La légende dit qu’il serait le premier à s’être intéressé à ce son qui résulte du frottement de la tête de lecture et les sillons du vinyle. Bien que cette technique ait été perfectionnée par Grandmaster Flash quelques années après, il faudra attendre la performance de Grand Mixer DXT & Herbie Hancock du titre Rock It aux Grammy Awards (1984) pour que le grand public prenne conscience des performances qu’il était possible de réaliser avec une platine Technics.
Outre ses propriétés audiophiles assurant une grande précision de lecture, la SL-1200 possède plusieurs améliorations significatives la rendant idéale pour les DJ’s. On note tout d’abord un contrepoids plus précis, un réglage de l’anti-skating et la possibilité de régler la hauteur du bras de lecture. Des boutons rotatifs permettant de régler la vitesse de lecture sur +/- 8% sont également de la partie afin d’adapter le tempo et enchainer les morceaux lors d’un mix. La SL-1200 est également la première platine à intégrer un stroboscope lumineux spécialement conçu pour identifier la vitesse de rotation directement sur le plateau.
SL-1200MK2 : le résultat de l'expansion du phénomène dans les clubs
À la fin des années 70, cette première version de la SL-1200 est largement adoptée par les DJ Hip Hop et occupe désormais les clubs Disco. Pour connaitre l’impact de cette platine, il fallait se rendre à New York, où la culture afro-américaine était en pleine évolution. C’est ce qu’a fini par faire Shuichi Obata, l’ingénieur en chef des platines Technics, pour constater la popularité des DJ’s de la grosse pomme. Après seulement quelques mois de développement, la SL-1200MK2 verra donc le jour en 1979. Cette déclinaison intègre désormais un slider vertical placé à droite pour régler la vitesse de lecture. Grâce à cela, les DJ’s peuvent adapter le pitch plus facilement et plus précisément.
Reprenant la conception interne de son ainée, la SL-1200MK2 reste indéniablement une platine audiophile pour une utilisation domestique. Elle est toutefois redoutable pour une utilisation en paire, accompagnée d’une table de mixage, afin de passer aisément d’un disque à l’autre. On note évidemment des améliorations telles qu’un nouveau moteur contrôlé par Quartz. Ce dernier augmente considérablement la stabilité et la constance de rotation du plateau pour une meilleure manipulation. Caractérisée par une résistance inégalable et ne nécessitant que peu d’entretien, la SL-1200MK2 dépasse toute concurrence à cette époque. Au-delà de ses performances sonores, la platine était en effet capable de résister aux chocs physiques et à l’humidité. De ce fait, la SL-1200MK2 restera la reine des platines des années 80 à aujourd’hui !
Des platines pour toujours fidèles à leur réputation
Malgré le fait que la Technics SL-1200 n’ait pas connu d’évolution majeure depuis 1979, il convient tout de même de revenir sur les modèles sortis les années suivantes. On note tout d’abord la sortie de la SL-1210MK2, une version noire mat identique à la SL-1200MK2. Il faudra ensuite attendre 1997 pour la commercialisation de la SL-1200M3D. Cette dernière se différencie uniquement par l’ajout d’un bouton à Quartz permettant de réinitialiser le pitch en un clin d’œil. Réservée au marché japonais, la SL-1210MK4 ajoute quant à elle un mode 78T aux traditionnels 33T et 45T. Deux platines SL-1200 légèrement modifiées voient également le jour en 2002. La SL-1210M5G propose un nouveau pitch autorisant un réglage de la vitesse de rotation à +/- 16%, tandis que la SL-1210MK5 augmente le réglage de l’anti-skating à 0-60 mN. Dotés de finitions en or, les modèles anniversaires SL-1200LTD (1998) et SL-1200GLD (2004) sont également à retenir en matière d’esthétique.
Arrêt de production de la SL-1200 de 2010 à 2016
Ce n’est que dans les années 2000 que Pioneer viendra perturber l’épopée de Technics. Avec l’expansion du numérique, les DJ’s sont séduits par des platines CD très efficaces permettant d’éliminer l’encombrement des disques vinyles. Ces contrôleurs sont d’ailleurs très rapidement capables d’accueillir des clés USB ou des cartes SD, favorisant ainsi l’utilisation de fichiers audio MP3, WAV, FLAC, etc. Même si les vinyles timecodés permettent de mixer n’importe quel fichier sur des platines traditionnelles, Technics ne domine plus le marché et décide d’arrêter la production des SL-1200 en 2010 !
Toutefois, avec le retour du vinyle plébiscité par des personnes en recherche d’authenticité musicale et la hausse du prix des SL-1200 d’occasion, Technics n’hésitera pas à développer de nouveaux modèles. Suite à des pétitions ayant récolté plus de 25 000 signatures, Panasonic s’exprime dès fin 2015 sur son intention de reprendre la production au sein de ses usines japonaises. Les platines Technics SL-1200G et SL-1200GAE (édition anniversaire) seront ainsi disponibles en 2016. Entièrement repensés, ces deux modèles conservent le look de leurs ancêtres, mais adoptent un châssis et un moteur optimisés pour davantage de stabilité. Ces platines haut de gamme sont par ailleurs dotées d’un bras en magnésium étiré à froid afin d’obtenir une restitution sonore de très haut vol. Disponible dès l’année suivante, la SL-1200GR est une version plus abordable de sa prestigieuse grande sœur. Elle s’en distingue par l'intégration d'un bras en aluminium, d'un plateau double couche en aluminium, d'un moteur coreless simple rotor et d'un châssis double couche.
SL-1200 MK7 : le meilleur compromis de chez Technics pour DJ et audiophiles
Malgré la présence d’un réglage du pitch, ces nouvelles platines ont été purement conçues dans une optique audiophile. Certains DJ ne se cacheront pas de ne pas retrouver les sensations qu’ils avaient avec la version originale. Présentée à l’occasion du CES 2019 et commercialisée en juin, la SL-1200 MK7 est un modèle conçu pour les DJ. Son slider vertical est accompagné d’un bouton permettant de doubler la vitesse du pitch et d’un bouton « reset » pour ramener la vitesse à 0 instantanément. Un sélecteur situé sous le plateau permet par ailleurs d’inverser la rotation du plateau. De quoi réconcilier les DJ avec les platines du constructeur japonais ! Une version de salon baptisée SL-1500C voit le jour en même temps que la SL-1200 MK7. Elles est livrée sans slider vertical ni stroboscope lumineux, mais elle intègre d'un préampli phono.
Même si la Technics SL-1200 évolue avec son temps, elle conserve toujours ses principaux atouts de manière à rester fidèle à la version originale. Si son histoire la rattache directement à l'émergence des musiques électroniques, elle reste l’une des platines les plus polyvalentes du marché. La qualité des composants qui contribuent à la reproduction sonore n’est plus à prouver et sa résistance au temps est tout simplement impressionnante !